RAPPORT DE VOYAGE EN COLOMBIE OCTOBRE 2012

Publié le 30 octobre 2012 - mis à jour le 30 octobre 2012

Ce voyage de 10 jours en Colombie a pu se réaliser grâce à l’invitation de la coopérative COSURCA, à l’occasion de l’inauguration de ses nouveaux locaux à Timbio, petit village du Cauca, au sud du pays. Andines travaille depuis 10 ans avec cette coopérative (Rapport complet avec photos téléchargeable en fin de texte).

BOGOTA

Dans la nuit du 4 au 5 Octobre, nous sommes arrivés à Bogotà , capitale de la Colombie (avec Camille, ma fille en étude de sociologie). Notre avion ayant été détourné par Cali, nos amis de l’entreprise Interexpress, Alvaro et Ida, s’inquiétaient, mais leur accueil fut comme toujours très chaleureux.

Nous sommes restés deux jours avec eux. Le premier objectif de ce voyage était en effet de faire le point sur notre coopération avec nos amis d’Interexpress, petite entreprise solidaire par laquelle exportent exclusivement nos partenaires artisans de Colombie depuis 25 ans … Interexpress s’est créée en même temps qu’Andines, et c’est avec elle et les artisans que nous avons dés le départ, en Août 1987, clairement défini nos modes d’échanges, fondés sur l’équité, la solidarité et la transparence .

10 ans après, nous avons dû vivre les uns et les autres la « récupération » de ce commerce équitable tout au long de la filière (du producteur au client final) en une niche commerciale exclusivement sud-nord, par le biais d’une idéologie caritative fondée sur un puissant marketing appelant à « aider les petits producteurs du sud »... Cela s’est fait sous la pression des multinationales et des grandes chaînes de distribution qui ont su faire de ce commerce équitable une nouvelle niche à profits, et des plus opaques.

Nous avons su tous ensemble garder le cap initial (l’équité maximum pour tous les travailleurs qui interviennent dans nos filières), mais le combat a été rude et l’est toujours : par manque de soutien bancaire, nous n’avons pas pu développer nos activités autant que nous l’aurions voulu. Ce voyage a donc été l’occasion de ce constat mais aussi de discuter de nouvelles perspectives d’avenir malgré les difficultés que rencontrent nos entreprises.

Nous avons eu aussi l’occasion de visiter la région proche de Bogotà, où vivent nos amis et où sont installées des dizaines d’entreprises de production de fleurs, et cela sur des dizaines d’hectares de serres. Dans ces immenses lieux de production, les travailleurs, principalement des femmes, subissent non seulement l’exploitation salariale (le salaire minimum en Colombie ne fait que maintenir la pauvreté) mais aussi des conditions de transport et de travail très dures, et l’exposition quotidienne aux produits chimiques...90% des fleurs ainsi produites sont exportées aux Etats Unis et en Europe. A quel prix humain !

Bogotà – Popayan – Timbio (Cauca)

Le 7 Octobre, après 12 heures de bus pour traverser les cordilières, nous sommes arrivés dans la nuit à Popayan, capitale du département du Cauca.

Au petit matin du 8, des amis de la coopérative COSURCA nous conduisent à Timbio, un petit village au sud de Popayan. C’est là que les travailleurs de la coopérative COSURCA (Coopérative du Sud du cauca) ont rénové pendant 2 ans une vieille usine de légumes (abandonnée pendant 12 ans) pour en faire le siège général de leur coopérative, sur 1000 m2 : bureaux, réception et tri du café, fabrication de jus de fruits, etc.

L’accueil est ici aussi des plus chaleureux. Nous nous connaissons bien puisque ANDINES achète du café à COSURCA depuis 10 ans : les cafés « Soberano » et « El Futuro », torréfié et emballé ici ! (Voir nos précédents rapports de voyage dans les villages de production du sud du Cauca).

L’exportation directe de ces cafés est possible grâce aux combats qu’a mené de Cosurca pendant des années pour s’autonomiser par rapport au monopole de la Fédération nationale des producteurs de cafés en Colombie (FNCC), une énorme organisation mixte (aux mains des gros producteurs et l’état) qui impose ses lois, au détriment des petits producteurs et des salariés du secteur. C’est ainsi que Cosurca a pu créer sa propre entreprise d’exportation e, 2007, « Expocosurca SA », intégrée à la coopérative.

Sit eInternet de COSURCA : http://cosurca.org/

Comme nous sommes arrivés un jour avant l’inauguration des nouveaux locaux, nous allons pouvoir participer aux activités de préparation et discuter avec les salariés et les paysans présents.

1er jour : Le 9 au matin, commence « l’inauguration » ...

Ce sera en fait 3 jours de rencontres, de conférences et de débats à partir de la situation et des perspectives de la coopérative Cosurca et de ses partenaires, dans une société de plus en plus libérale, de plus en plus dominée par les multinationales et leurs financiers spéculateurs. Ces débats vont être de haut niveau puisqu’il s’agit de situer l’action de nos entreprises (précisons que nos coopératives ne sont ni plus ni moins que des entreprises, mais autogérées par leurs travailleurs), qui ont une démarche alternative, dans le contexte d’un néolibéralisme de plus en plus oppresseur des êtres humains et destructeur de la biodiversité.
200 personnes vont participer en permanence à cette manifestation.

La majorité des participants sont des paysans représentant les 1300 familles membres de la coopérative et représentées par un Conseil d’administration de 10 élus. Sont également présents l’équipe technique de Cosurca (une vingtaine de personnes, totalement dévouées à l’action de la coopérative), les délégués d’une dizaine d’autres organisations paysannes du Sud de la Colombie (Départements du Valle, Narino, Huila et Cauca), et quelques partenaires étrangers, dont Andines.

Ici, je suis invité en tant que délégué de la coopérative française ANDINES ainsi que de l’association professionnelle et politique MINGA, pour exposer nos pratiques et notre combat pour une économie équitable. Nos deux organisations sont déjà bien connues ici mais les échanges s’approfondissent et nous continuons à mieux nous connaître. J’interviendrai « publiquement » le lendemain.

Devant les locaux de Cosurca se trouvent également 13 stands qui présentent les activités et les produits agricoles et artisanaux de la région. Un grand espace où se continuent les échanges et les rencontres. Ici, café, jus de fruits et autres dégustations sont offerts.

La première journée, après la présentation de tous les participants, est consacrée à la coopérative COSURCA : son histoire mouvementée depuis sa création en 2000, son organisation (11 associations villageoises fédérées + un Conseil d’administration), son développement, ses problèmes dûs à son combat pour que les paysans s’auto-organisent de manière autonome et puissent s’exprimer en tant qu’agriculteurs, y compris sur le plan politique.

Dans un contexte colombien où les richesses sont confisquées par quelques familles et une poignée de multinationales, la lutte est très difficile, et seule l’union des organisations démocratiques des travailleurs (paysans, ouvriers, éducateurs, sans emploi, etc), à la base, peut être efficace pour changer la société. Pour construire une autre société, fondée sur une économie radialement différente que l’économie capitaliste, sur la démocratie locale, sur la souveraineté alimentaire, sur l’équité et la relocalisation économique des moyens de production et de distribution, dans tous les domaines. Ce point de vue est partagé par les autres organisations présentes, dont Andines et Minga...

Les débats permettent de mieux se connaître, d’instaurer des relations d’égal à égal (c’est cela, pour nous, l’équité) et de confiance, ici et ailleurs, et de discuter du comment s’organiser, localement et internationalement, en évitant les stratégies pyramidales qui, on le voit partout historiquement, ne font que copier le vieux système capitaliste (pouvoir-> corruption->argent, etc) …
Le soir, petit concert de musique andines !

2ème jour

Le lendemain, dés 7h30 et après un excellent café du cru, reprennent les débats. Ils vont porter sur les modes de distribution des produits de la région, en particulier le café, les fruits, les légumes et le sucre de canne. COSURCA commercialise aussi ces produits.

Le café est amené ici pour être trié et déparché (enlever la petite peau qui recouvre chaque grain). Il est ensuite en partie torréfié et emballé pour être vendu dans des boutiques et des marchés de la région. 80% est cependant exporté : une cinquantaine de containers par an (1000 tonnes, ce qui équivaut au final à 3 millions de paquets de café de 250 gr), aux Etats unis, en Angleterre et en France (par Andines).

C’est ce matin que je dois intervenir pour expliquer notre philosophie et nos pratiques. Avant moi vont parler 3 représentantes de « FLO », plus connu en France sous la marque privée Max Havelaar. Cosurca est obligé de passer par cette dite « certification équitable » pour pouvoir vendre un peu plus cher le café de ses membres. Ce qui pose question à la plupart des paysans présents, car être contrôlés par des organismes qui n’appliquent pas à eux mêmes ce qu’ils imposent aux producteurs est vécu ici comme une démarche intrusive néo-coloniale... Andines n’a rien à voir avec ces pratiques et, aux dits « labels », préfèrent appliquer des règles collectives de transparence et de débat permanent.

Nous avions ¼ d’heure pour que chacun(e) expose son point de vue, mais chacune des femmes ont parlé au minimum une demie heure, lisant leur « power point »... Aprés ces discours ...inéquitables, ce fut à mon tour d’expliquer notre lutte pour une économie différente, équitable et solidaire, partout et pour tous, ne se limitant pas à l’idéologie paternaliste « nord-sud ». Affirmer que l’équité ne pouvait pas exister dans le « marché » d’aujourd’hui et que dans les pratiques ce ne pouvait être qu’un objectif et un processus complexes, affirmer que l’équité doit s’appliquer à toutes les étapes d’une filière économique, affirmer que la souveraineté politique et économique (notamment alimentaire) des peuples, est un axe essentiel de lutte, d’où la nécessité d’un changement radical de société, tout cela a été bien compris par les personnes présentes et même applaudi (sauf par les ambassadrices de FLO).

J’ai aussi pu parler de notre livre « La bio, entre business et projet de société » et offrir publiquement un exemplaire de ce livre au Conseil d’administration. Par la suite des personnes viendront discuter d’une possible publication en Colombie après traduction...
Pendant et après le repas, le débat à continué en petits groupes.

L’après midi, les autres organisations colombiennes présentes ont à leur tour expliqué leurs démarches, à la fois professionnelles (production, commercialisation) et politiques (outils de lutte et prémisses d’alternatives au néo-libéralisme dominant).

3ème jour

Le lendemain, ce fut la visite des nouveaux locaux de Cosurca et leur inauguration. Là aussi ce fut l’occasion pour les élus et les responsables de la Coopérative d’expliquer leur conception politique de leur démarche collective et de leur outil de production.

Dans l’après-midi, a eu lieu une réunion spéciale entre le Conseil d’administration de Cosurca, René Ausecha son gérant, et Andines. J’avais expliqué à plusieurs membres de Cosurca les difficultés d’Andines en France, dûes non pas à un problème de marché, mais essentiellement à une trésorerie insuffisante, qui dure depuis 25 ans...

Dans cette réunion convoquée par le CA de Cosurca, j’ai pu ré-expliquer nos difficultés et leurs causes. L’impossibilité, vue l’insuffisance financière, d’acheter à temps les produits (comme le café) et d’éviter les ruptures de produits . Tout cela a été bien compris par mes interlocuteurs, qui ont décidé de réfléchir rapidement à une démarche solidaire entre nos deux organisations. Le premier acte sera une lettre du CA de Cosurca expliquant leur incompréhension quant au refus des banques, pendant ces 25 années, d’octroyer à Andines les prêts nécessaires au développement de son activité... En même temps, le CA de Cosurca s’est engagé à chercher d’autres formes de solidarités...

En conclusion de ce petit rapport de voyage, un grand merci à toutes celles et tous ceux qui ont permis ces nouvelles rencontres !

MB, 15 Octobre 2012